J'entendais un homme aujourd'hui, un travailleur sans papiers, clandestin, immigré, ignoré par l'administration, méprisé par son employeur, j'entendais cet homme, donc, dire une chose formidable qui m'a profondément troublé, une parole si vraie qu'elle semble d'inspiration divine, j'entendais cet homme dire en toute simplicité que l'intelligence est ce qui nous permet de nous éloigner de la réalité.
On pourrait doctement disserter sur cette phrase, rétorquer que l'intelligence ne se limite pas à cela, arguer qu'il n'y a pas que l'intelligence qui nous éloigne de la réalité, mais que, par exemple, les sentiments - rationalisés ou non - y concourent également.
Mais est-ce que, au-delà de ça, ce n'est pas exactement là que se trouve la finalité de l'intelligence ? la cause formelle, au sens où l'entendait Aristote ?
Spontanément, on se dit que l'intelligence nous permet de comprendre le monde, d'appréhender l'univers, de contrôler notre environnement. On peut avoir cette approche mécaniste, positiviste, et penser qu'elle est le fruit de l'évolution, qu'elle n'est qu'un outil que l'évolution a mis en notre possession pour nous permettre de nous adapter à l'environnement (en l'adaptant, lui, à nous) et de survivre.
Je m'en tiens pour ma part au constat que l'intelligence, le mouvement de la pensée, quel qu'il soit, a pour conséquence première d'éloigner l'esprit de la matière. Toutes les constructions de l'esprit - la physique, les arts, la littérature, la physique, toutes les disciplines sur lequel le génie humain s'est posé - s'appuient sur la réalité pour mieux nous en éloigner.
A ce titre, les Mathématiques sont sans doute une des plus belles oeuvres jamais pensées, en ce sens qu'elles ne s'appuient pas sur la réalité, réalité qu'elles aident pourtant à comprendre, sans que se trouve là leur finalité. Elles aident au contraire l'esprit à dépasser le monde sensible pour le monde intelligible. A accéder aux monde des idées.
C'est là peut-être que se trouve la finalité vraie de l'intelligence humaine. Mais c'est une conception si clairement téléologique, tellement à contre-courant des pensées modernes, que je comprends qu'elle puisse ne pas plaire à tout le monde. Et pourtant... Que nul n'entre ici, s'il n'est Géomètre.