J'ai toujours été fasciné par les tags. Le graffiti est une forme d'art contemporain - dessiner sur un mur, le plus souvent à la bombe - là où le tag n'est qu'une pratique vandalistique. Tagger, c'est laisser dans l'urgence sa signature ; le taggeur agit de nuit, il est obsédé par sa signature, qu'il veut laisser dans le plus d'endroits possibles. Il graffe sa signature en vitesse, sans aucun soin pour l'esthétique. Le graffiteur, au contraire, s'applique, prend son temps et cherche à créer quelque chose de beau.
Mais le graffiti me laisse absolument indifférent. C'est du street art, la culture hip hop, et ça ne me parle pas du tout (sans doute parce que ce ne sont pas mes références culturelles). Le tag, au contraire, me fascine. Il y a une forme de névrose derrière, l'obsession maniaque de laisser sa trace partout, d'apposer sa signature partout, sinon pour s'approprier les supports, au moins pour attirer l'oeil du passant. Qui n'a pas remarqué ces na crew qui jalonnent les voies ferrées ?
Je crois qu'il y a derrière un profond besoin de reconnaissance. Mais c'est aussi un geste très paradoxal, parce qu'il se place dans le domaine de l'interdit - et qu'il est donc anonyme. C'est un appel, un cri poussé dans l'obscurité, tout le monde l'entend mais personne ne peut dire d'où il vient.
Ce tag, cette signature obsessionnelle, compulsive, laissée un peu partout, à la hâte, et sans souci d'esthétique, est une forme très primitive d'expression. C'est un phénomène assez intéressant pris dans sa globalité, d'un point de vue sociologique. Mais il y a des inscriptions qui ont beaucoup plus de valeur...
Ce qui me fascine vraiment, à vrai dire, ce sont les vieilles inscriptions laissées dans des lieux chargés d'histoire (les cathédrales en regorgent) et une catégorie de tags que je ne saurais pas vraiment classifier, mais que je retrouve de plus en plus : des aphorismes laissés en hâte sur un mur. Ils sont assez nombreux à Metz, disons qu'ils sont assez nombreux pour avoir la chance de tomber sur un nouveau au hasard d'une promenade, mais qu'ils ne sont pas assez nombreux pour en devenir lassants et perdre leur valeur. J'aime beaucoup ce fragile équilibre.
Le tag le plus connu est sans doute celui-ci, qu'on peut trouver dans une des ruelles non loin de la cathédrale :
Ces phrases, qui jalonnent les murs de Metz et sans doute de nombreuses autres villes en France, sont à la fois désabusées, et portent à la fois une forme d'espoir toute particulière... Une autre phrase, qu'on trouve sur l'ïle du Saulcy (2) et que j'aime beaucoup : demain est annulé pour cause d'indifférence générale... Il n'y a pas de souci esthétique dans le graphisme, il respire plutôt l'urgence, comme le tag, la démarche est admirable. C'est un cri jeté au visage des passants, c'est un "réveillez-vous !" magnifique. André Breton ne le renierait certainement pas...
Cela fait longtemps que je regarde ces tags (et surtout, en fait, dans les églises et les cathédrales, qui regorgent souvent d'inscriptions laissées par les visiteurs des siècles passés), mais il y en a quelques uns qui m'ont profondément marqués ces derniers temps, et qui m'ont décidé à écrire ici un article. Le premier entre dans la catégorie "historique" ; c'est une inscription laissée sous le porche de l'entrée de la citadelle de Bitche :
Il date de la drôle de guerre et a été laissé là par le 37e Régiment d'Intanterie de Forteresse. Date-t'il de l'époque où le 37e RIF était en position dans la citadelle ? Date-t'il d'après la guerre, laissé par des anciens soldats revenus ici en pèlerinage (la date de 1947 visible tout en haut) ? Ces mots ont un écho tragique, et gardent leur mystère...
J'ai été beaucoup marqué également par cette porte, couverte de tags gravés dans l'épaisseur de la peinture, et que j'ai vu sur la porte d'un des cachots de la prison du camp de déportation de Schirmeck :
Ces inscriptions sont sans doute dans leur quasi totalité postérieures à la seconde guerre mondiale, mais le lieu leur donne une valeur particulière. S'agit-il d'un irrespect manifeste, laissé là par des gens au lendemain de la guerre, alors que le camp était oublié ? S'agit-il d'inscriptions laissées là par des survivants, revenus des années après ?
Mais le tag qui m'a vraiment poussé à écrire cet article est un tag que j'ai trouvé dans une cellule de garde-à-vue hier (1) :
A la fois plein d'humour, d'espoir et de bon sens, il est tellement incongru dans cet endroit...
(1) Pour les mauvaises langues qui me demanderaient ce que je vais faire dans une cellule de garde-à-vue... pas de commentaires, c'est purement professionnel !
(2) Et donc, pour ceux qui ne connaissent pas Metz, sur le campus universitaire...