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14 juillet 2010 3 14 /07 /juillet /2010 10:51

Je viens de finir la lecture de Codes, la grande aventure de Pierre Berloquin (1).

Cet ouvrage est richement illustré et aborde bien d'autres points que la seule cryptographie. L'auteur évoque ainsi les codes architecturaux du Moyen-Âge, les codes picturaux, les codes des Templiers et des sociétés secrètes, et va jusqu'à traiter longuement d'Internet. Un long chapitre, bien illustré, est consacré au télégraphe optique.

En matière de cryptographie pure, l'auteur traite principalement des codes de substitution, dont il explique les divers perfectionnements, et Vigenère. Il aborde Enigma et l'échange de clef Diffie-Hellman-Merkle mais sans entrer dans les détails. Il propose ainsi au lecteur des cryptogrammes plutôt simples (ils s'en tiennent à des codes de substitution, sauf un Vigenère particulièrement plaisant à déchiffrer) mais qui agrémentent la lecture.

Globalement... Codes est un bon ouvrage d'introduction, et incontestablement éclectique et enrichissant. Mais en matière de cryptographie pure, il m'a poussé à rouvrir la classique Histoire des Codes Secrets de Simon Singh qui aborde le sujet de manière plus technique.

Mais là n'est sans doute pas l'objet de l'auteur de Codes. Alors que Simon Singh veut offrir une histoire de la lutte entre le chiffrement et le déchiffrement et présente les aspects techniques dans un ordre chronologique, Pierre Berloquin ajoute une perspective thématique, qui joue un rôle plus central que la perspective chronologique, et s'intéresse aux codes dans leur rapport avec l'humanité. Son leitmotiv est l'émancipation du code - la créature qui échappe au contrôle de son créateur. Il prend ainsi beaucoup de recul par rapport à son sujet, et le présente sous un angle inhabituel.


Concernant Internet, l'auteur insiste sur le fait qu'il s'agit d'un monde à part, avec des règles propres, et qui a été édifié en marge du monde réel - dans un monde parallèle, presque une autre dimension, une dimension virtuelle. Nous évoluons masqués dans ce deuxième monde grâce à des avatars (2). Il s'agit en quelque sorte de la projection d'un univers infiniment riche (la réalité) sur un univers finiment riche, une représentation partielle et limitée du monde. C'est toute la différence qu'il y a entre manipuler un cube et voir sa projection sur une feuille.

L'interaction entre nous et nos avatars est de plus en plus prononcée - surtout avec l'avènement du web 2.0 - et s'est progressivement muée en interdépendance, puis en dépendance. Nos avatars finissent en effet par avoir une existence quasi-autonome, et par nous jouer des tours. On ne peut pas supprimer toutes les informations qu'ils révèlent sur nous ; même si le flux d'information est passif, sitôt lancé, nous perdons le contrôle complet sur lui.

Je me retrouve complètement dans cette constatation, moi qui suis complètement fasciné par le monde informatique. Cette fascination n'est pas rationnelle ; ce n'est pas ce qu'il est possible de faire que j'admire, tant que la manière qu'on a de le faire. On en est arrivé à une ultra-circulation de l'information, et à un croisement et un recoupement de toutes les informations en ligne.

La conséquence en est que les distances entre les hommes sont abolies, mais la contrepartie est que les relations sont appauvries (parce que projetées sur un univers finiment riche). Finalement, le flux d'information met en péril la sécurité - et, pire, la liberté - de ceux qui y ont recours. Pour citer George Bernanos : "Un monde gagné pour la technique est un monde perdu pour la liberté."

Alors intervient le pouvoir temporel. Les politiques s'interposent, et décident, pour notre bien (3), qu'il faut rétablir la sécurité dans le monde virtuel. Cela commence par une propagande qui exagère les dangers encourus, et qui instille la peur dans l'esprit de ceux qui ne savent pas. Ensuite, on dévoie les techniques, et on s'en sert pour contrôler les esprits pour rétablir la sécurité du flux d'information. Mais pour citer Benjamin Franklin cette fois : "They who can give up essential liberty to obtain a little temporary safety, deserve neither liberty nor safety." (4)


(1) Ed. Michel Lafon, ISBN 13 : 978-2-7499-1199-1.

(2) Chacun sait que l'anonymat sur Internet n'est que de surface. Pour la Justice, il n'y a aucun anonymat possible. Néanmoins, cet anonymat apparent est en train d'être remis en cause par diverses propositions de loi. Entre filtrage du net (censure), moisson d'adresses IP, et "délit de non sécurisation", on commence ainsi à entendre parler d'une "carte d'identité numérique" qui serait obligatoire (un comble, quand on sait que la vraie carte d'identité n'est pas obligatoire), ce qui mettrait un terme définitif à toute velléité de liberté sur Internet. Pour les non informaticiens, en tout cas.

(3) C'est bien connu, les politiques décident toujours pour notre bien, même quand ils nous envoient à la guerre. C'est une des grandes illusions sur laquelle repose le pouvoir.

(4) "Ceux qui sont prêts à sacrifier leur liberté à l'illusion de la sécurité ne méritent ni l'une, ni l'autre."

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